lundi 24 janvier 2011

Oscar Dufrenne et son mystérieux marin

Ce 25 septembre 1933 vers minuit trente, le comptable du music-hall cinéma Le Palace toque à la porte du directeur de l'établissement. Pas de réponse. Il entre et aperçoit sur le sol un corps, caché sous une carpette. Il s'agit d'Oscar Dufrenne, cinquante-huit ans, assassiné dans son propre bureau vers 22 h 30. Blessé au crâne par dix-sept coups de queue de billard, le directeur est mort étouffé sous la carpette. Absorbé par le film qui était projeté ce soir-là, le public n'a vu ni entendu quoi que ce soit qui puisse aider les enquêteurs. Le lendemain, le tollé est énorme. Dufrenne, ce n'est pas n'importe qui dans le Paris d'alors. Ce prince de la nuit vibrionne aussi d'activités le jour : conseiller municipal radical-socialiste du 10e arrondissement, conseiller général du département de la Seine, président du Syndicat des directeurs de spectacles, arbitre au tribunal de commerce, mécène de diverses oeuvres de bienfaisance... « Sa joie était de se pencher sur les humbles et de leur faire oublier, autant que possible, les inégalités de fortune. Combien de malheureux n'a-t-il pas secourus? Combien d'artistes n'a-t-il pas soutenus et encouragés? Combien de misères n'a-t-il pas soulagées? », écrit (non sans malice si l'on sait lire entre les lignes) le journaliste chargé de sa nécrologie dans le N° 592 de La Semaine à Paris. Une sacrée réussite pour cet imprésario né à Lille dans un milieu modeste et qui, depuis 1914, avait su redonner de l'éclat à plusieurs grands établissements de la capitale : Le Concert Mayol, Le Casino de Paris, L'Empire et bien sûr Le Palace, « où marlous chics et hommes du monde voisinent tellement qu'on s'y tromperait ». L'Humanité décrit Dufrenne comme un « magnat du spectacle "bien français" », « grand exhibiteur de cuisses, exploiteur d’usines "à plaisir" et homme de gauche ». Bref, « comme disent les travailleurs dans leur langage direct : – il n’y a que chez les bourgeois qu’on voit des choses pareilles ». Ce « monde corrompu et jouisseur de la haute société bourgeoise » où Dufrenne « s’enfonce davantage dans le bourbier du vice » pour finalement périr « dans une ignoble rumeur de scandale, victime du crime le plus crapuleux, le plus abject, après avoir lui-même introduit l’individu équivoque qui devait le massacrer ».

Au lendemain du meurtre ce sont logiquement les réactions de compassion qui dominent. La victime est louée, son parcours mis en valeur. La foule présente devant le Palace n’était pas composée que de curieux attirés par le sang, mais aussi d’habitants du quartier et de familiers venus lui rendre hommage. Ses obsèques, religieuses, furent d’ailleurs le moment d’une communion passagère. Des représentants, entre autres, des métiers du spectacle, de l’Hôtel de ville, de la Préfecture de police ou du parti radical défilèrent en cortège derrière l’Harmonie du 10e arrondissement, suivie de chars fleuris appartenant aux différentes associations présidées par Dufrenne, jusqu’à l’église où furent célébrées la générosité du défunt et son action en faveur des plus démunis. Pour L’Humanité, on assista là au défilé de la « fine fleur des édiles bourgeoises » associé au «Tout-Paris des poules de luxe, des cabotins de la haute, des petits jeunes gens spéciaux [qui] ont formé un digne cortège à leur égal ou maître ». Les actualités cinématographiques s'attardent sur le visage éploré d'« un homme grisonnant, nez busqué, regard sombre ». C'est Henri Varna, de douze ans le cadet du défunt, dont il est l'associé et le compagnon en titre. Mayol raconte dans ses Mémoires, parues en 1929, que « c'est dans l'un des spectacles [montés par] Dufrenne, que débuta, d'abord comme acteur, ensuite comme auteur, un jeune garçon : Henri Varna, devenu [...] le bras droit de Dufrenne dans la plupart de ses opérations ». Mais pas dans toutes, car le couple Dufrenne-Varna est plutôt du genre libre. On sait notamment que le premier aime hanter les promenoirs, ces couloirs situés au fond de la salle qui constituent, comme dans tous les music-halls de l'époque, des lieux de chasse et de flirts plus ou moins poussés pour les amateurs de bagatelle tarifée ou non.

Au Palace s’était mise en place, dès la connaissance du meurtre, une véritable conspiration du silence de la part des proches de Dufrenne, soit que l’on voulût préserver « la mémoire du patron », soit que l’on désirât protéger sa propre réputation. Ses préférences sexuelles ne furent pas mentionnées aux policiers chargés de l’enquête, prévenus une heure après la découverte du corps. Les ouvreuses de l'établissement avouent seulement le lendemain matin avoir aperçu, trois jours avant le drame, un jeune homme habillé en marin. Il se tenait au promenoir et Dufrenne était venu le retrouver comme une vieille connaissance, l'emmenant dans son bureau pour lui laisser une invitation - ce « billet de faveur » qui allait conduire à la rencontre fatale... « Hier j’ai levé un beau marin et j’ai pensé à toi » aurait confié Dufrenne à l'artiste Lyjo. Et ce dernier de préciser lorsqu'il témoignera plus tard au procès de l'assassin présumé qu'« il ne pouvait s’agir que d’un marin véritable et non d’un démobilisé ou de fantaisie, ces deux dernières catégories ne pouvant nous intéresser ».

L'attitude du personnel et des proches coïncidait avec celle adoptée du vivant de Dufrenne, quand le personnel, conformément à ses instructions et pour lui permettre de « faire son choix », éteignait les veilleuses. Serge Nicolesco, le secrétaire particulier de Dufrenne, fut l’un des seuls à parler. Il faut dire que, ancien amant de Dufrenne, réputé instable (il l’aurait mordu lors d’une crise de jalousie), il faisait alors figure de principal suspect. Il était par ailleurs fort remonté contre le nouveau favori en titre, Jean Sablon, qu’il n’avait de cesse d’accabler. Cela lui permit d’établir quelques mises au point subtiles quant à la nature des relations entretenues par Dufrenne, et la manière dont celles-ci pouvaient être perçues. Il différenciait ainsi clairement ses liaisons durables du mode de vie « déréglé » qu’il affectait depuis quelque temps, caractérisé par « de mauvaises fréquentations » avec différents gigolos dans des boîtes de nuit de Paris ou de la Côte d’Azur. Il laissait d’ailleurs entendre qu’il aurait rompu avec Dufrenne à cause de sa « façon de s’afficher en public »: « Je n’avais nullement l’intention de m’exhiber en leur compagnie [Dufrenne et Sablon], et être ridiculisé ». Sablon, en retour, s’il raillait Nicolesco, jaloux, violent et et suicidaire, confirme du moins que Dufrenne et lui avaient pris du bon temps pendant les vacances, et décrit un véritable circuit organisé des lieux de plaisirs homosexuels de la Côte.

Il évoque également le caractère de Dufrenne et la manière dont celui-ci gérait certaines relations de passage ; victime d’une tentative de chantage, il aurait simplement mis le garçon à la porte, anecdote confirmée par Nicolesco: «mon patron était très fort, courageux, et ne se gênait nullement pour flanquer à la porte n’importe qui cherchant à l’intimider ou tentant de le faire chanter. Il raillait souvent Varna [son associé] à ce sujet, prétendant que ce dernier, dans un cas analogue, se laisserait frapper sans rien dire et donnerait tout son argent ». Dufrenne ne dédaignait pas pour autant les situations à risque : Nicolesco le surprit un jour «en conversation » avec un garçon dans son bureau, dans lequel avait été spécialement aménagé un lavabo, camouflé aux regards, pour ce genre d’occasions. Les rapports des Renseignements généraux confirment que « si la vie de M. Dufrenne n’était pas sans donner lieu à critiques il faisait preuve d’une certaine discrétion et d’autre part son action dans le domaine de la bienfaisance avait su lui assurer de nombreuses sympathies. » Il n’en était pas de même pour Henri Varna, sur lequel on recueillait des «anecdotes peu flatteuses en général». Il faut dire qu’il cumulait les transgressions de classe, de race et de genre : il aimait racoler ses partenaires sur les Grand Boulevards avant de les faire monter dans sa petite Delage pour les conduire dans sa propriété de Montmorency, il se plaisait à se travestir, vêtu d’une robe de pensionnat, genre «Demoiselle en Uniforme», et appréciait les ébats en plein air, non sans s’entourer de quelques précautions: « on l’a vu dernièrement se déculotter à une heure avancée de la nuit, rue de la Charbonnerie, et offrir sa personne à un algérien, pendant que ses gardes du corps, aux aguets, surveillaient les alentours ».

Si les proches renâclent à livrer des détails personnels, la vie privée du directeur du Palace est bien connue dans le milieu du spectacle et la presse s'en donne à coeur joie. On brode sur la scène du crime dont la nature sexuelle est immédiatement perceptible aux policiers. « La chemise et la flanelle sont relevées jusqu’aux seins ; le pantalon est ouvert, le caleçon est maintenu par un seul bouton, mettant à nu le ventre et les parties sexuelles. La main droite est repliée sur le ventre, la main gauche étendue sur le tapis ». L’autopsie du Dr Paul apporte des précisions supplémentaires : « Aucune lésion n’a été relevée au niveau des organes génitaux et de l’anus, non plus qu’aucune trace de sperme, ni dans la bouche, ni dans l’anus. Par contre, l’examen microscopique a décelé, dans une gouttelette blanchâtre prélevée à l’extrémité de la verge, la présence des éléments du sperme. De même, les constatations faites sur le caleçon, souillé de sperme au niveau de l’entrejambe, autorisent à penser que des actes érotiques ont accompagné la scène du meurtre ».

Très vite, coururent les plus folles rumeurs. La principale voulait que la fellation, à laquelle se livrait, pensait-on, Oscar Dufrenne, au moment du crime, ait mal tourné. Il aurait mordu la verge de son partenaire, qui aurait été transporté ensuite dans une clinique – juive – de Neuilly, une partie du gland arrachée, hypothèse entretenue par Léon Daudet. Ecoutez-moi, l'hebdomadaire de Marthe Hanau, y va de son commentaire : "Une infirmière pour enfants anormaux [...] au regard d'une fixité inquiétante et au système nerveux agité s'en vient déclarer à la police que l'assassin est un fils Malvy : preuve la mutilation caractéristique pour laquelle ce garçon serait venu se faire soigner dans une clinique. L'an dernier déjà, au moment du drame, la feuille à Daudet avait accusé le fils Malvy. Cette fois, il y a une nuance qui est une échappatoire. On met en cause un fils qui serait naturel, ce qui rend le contrôle difficile. Et, à la faveur de cette équivoque, on peut continuer à servir au lecteur une fable qui résiste aux démentis. M. Malvy fils a porté plainte en diffamation. Il reste à savoir dans combien de temps il obtiendra justice, et même s'il l'obtiendra : les juges ont souvent manqué de courage quand il s'agissait de frapper les gens de L'Action française..."

La police appréhende et interroge « un homme de trente cinq ans environs », désigné dans Le Petit Journal comme monsieur T., « dont le signalement correspond assez bien à celui du mystérieux marin, très connu dans les cercles spéciaux de Montmartre. Il habite dans le 9e arrondissement, mais n'a jamais appartenu à la Marine. Bien que ne possédant aucun métier bien défini - il prétend avoir hérité une assez belle fortune de sa mère, et par ailleurs "s'occuper d'affaires", - cet individu emploie un secrétaire, âgé de seize ans, auquel il donne des appointements mensuels de trois mille francs et qui répond au doux nom de Mésange. Cette particularité a fortement retenu l'attention des enquêteurs. En effet, on se souvient que certains témoins entendus dans les premiers jours qui suivirent le drame déclarèrent avoir aperçu le "marin", la veille du jour tragique, en compagnie d'un petit jeune homme de seize ans environ, aux allures singulières. Le secrétaire au gentil minois a, lui aussi, été amené dans les locaux de la rue des Saussaies et a dû répondre à un interrogatoire serré. » Mais le suspect, transfuge du music-hall, et son jeune secrétaire, sont très vite mis hors de cause... Les rumeurs vont bon train. Elles penchent un temps pour un journaliste ou un sportif de haut niveau. Rien n’attestait pourtant que l’assassin ait été blessé, encore moins grièvement. Nicolesco, le secrétaire de Dufrenne, avait appelé Malvy (dont Dufrenne était présenté comme «l’intime et le protégé ») immédiatement après la découverte du corps, ouvrant la voie aux hypothèses les plus folles. « La piste de la clinique », tout comme celle du sportif ou du journaliste furent suivies, sans aucun résultat, par les services de police, de même que celles de dizaines de marins ou prostitués, dénoncés par des particuliers, des indicateurs, ou les services de renseignement de la Marine. Malgré le procès intenté par Malvy contre L’Action française, la preuve apportée de l’alibi de l’un de ses fils, tandis que l’autre – le principal suspect – était décédé depuis plusieurs années (!), la rumeur enfla jusqu’à prendre des proportions inouïes. S’ajoutèrent un certain nombre de témoignages fantaisistes, qui, coïncidant avec l’arrestation de Laborie, bénéficièrent d’un maximum de publicité.

L’infirmière Lacroix, dont l’enquête révéla qu’il s’agissait bien d’une mythomane, ne fut pas avare des détails qu’elle distilla à la presse comme aux services de police. Elle écrivit également au père de Laborie pour l’assurer de l’innocence de son fils : «Votre fils a-t-il la verge coupée. Non, sûrement, et tandis que le coupable à [sic] la verge coupée par les dents de Dufrenne, puisqu’à l’autopsie on a trouvé le morceau dans la gorge de ce vieux cochon. » Elle aurait ainsi rencontré ce fameux « fils Malvy », surnommé selon elle « Georgette », dont la verge « était en effet sectionnée au-dessous du gland », mais il n’était pourtant pas le seul coupable : « Nicolesco qui participait à la scène d’orgie – il sodomisait M. Dufrenne pendant que celui-ci suçait la verge du fils Malvy – a aidé ce dernier à porter M. Dufrenne sur un divan et à recouvrir celui-ci de coussins dans le but de l’étouffer ». Cette hypothèse fut en partie confirmée par un autre « témoin », Raymond Perrier dit «Bobby », gigolo suicidaire réduit à la mendicité, mais qui avait le sens de la mise en scène. Non content de déposer, au lendemain de l’arrestation de Paul Laborie, une couronne sur la tombe de Dufrenne avec l’inscription «Au marin inconnu – Laborie innocent », il se lança ensuite dans une tournée de conférences, bientôt interdites, qui lui permirent d’exposer sa carrière d’« inverti professionnel », puisque c’est ainsi qu’il se présentait, sa soi-disant relation passée avec Dufrenne et les informations qu’il détenait sur le meurtre. Il « se déguisait en marin, habitait 77, avenue Simon-Bolivar chez une dame dont il avait orné les murs de la salle à manger de photos tendrement dédicacées par plusieurs personnages connus ». Dufrenne, qui l’aurait entretenu sur un grand pied pendant des mois, lui aurait parlé du marin – le fils Malvy, bien entendu – qu’il aurait lui-même croisé à plusieurs reprises dans le hall du Palace, notamment le soir du meurtre, commandité par Nicolesco. Ces « révélations » avaient beau ne reposer sur aucun fait réel, les « témoins » se contentant de broder à partir des éléments d’enquête parus dans la presse, elles contribuèrent à alimenter, dans l’atmosphère de corruption et de scandales à répétition qui était celle de la France des années 1933-1935, la croyance en une manipulation policière, au bénéfice de personnalités politiques de premier plan, vautrées dans le stupre et la perversion.

Les témoignages se contredisent et l'enquête s'enlise. Une partie du public s'amuse à traquer le coupable parmi quelques célébrités repérées comme efféminées, et les chansonniers y vont de leurs couplets satiriques. Car de « genre équivoque » ou de « sexe indéterminé », l’assassin de Dufrenne, puisqu’il a des pratiques homosexuelles, doit être efféminé. D’où l’ambiguïté du signalement du marin : initialement décrit par la police comme un jeune homme de 25 ans, vêtu en matelot, mesurant 1 m 75 environ, au teint pâle, aux cheveux bruns et au nez busqué, il se vit progressivement gratifié, par les témoins, ou par la presse, d’une « silhouette déhanchée » et d’un « regard féminin langoureux », tandis que d’autres insistaient sur son « cou de taureau » et sa « poitrine de bagnard ». Comme le remarquait ironiquement L’Oeuvre, alors que l’affaire piétinait : « ce phénomène qui tient à la fois du bovin, du rapace et de l’androgyne, ne peut manquer d’attirer l’attention des populations ». La police finit, grâce à un indicateur, par l'identifier : Paul Laborie, un marin démobilisé et «pédéraste professionnel», connu dans le milieu parisien sous le sobriquet de Paulo les belles dents.

« Beau jeune homme de 23 ans, [il] appartient à cette faune spéciale qui évolue dans divers bars louches de Montmartre et qui échappe, tant son activité coupable est diverse, à toute classification définie. » Mais l'homme a déjà fui à Barcelone, nouvelle capitale des plaisirs et sûr refuge pour les hors-la-loi. Dénoncé un an après les faits par une maîtresse jalouse, Laborie est arrêté puis extradé vers Paris. « De profil, avec ses traits nets, ses cheveux lustrés, et son menton volontaire, il ressemble au beau jeune homme sportif que les journaux de mode proposent à l’admiration de leurs lecteurs », même si « de face, il montre un visage inquiétant, asymétrique et boutonneux ». « Un visage [...] non seulement fatigué mais prématurément vieilli », lit-on ailleurs. C'est que « les années d’aventure et de débauche comptent double »... « Après avoir [...] reconnu qu'il avait été très intime avec le directeur du Palace, Laborie s'est repris ensuite, déclarant qu'il n'avait, jamais eu avec lui de relations suivies. » La presse retrace sa « vie de fils de famille perverti, s'adonnant à tous les vices et aux pires débauches, souteneur, pédéraste et trafiquant de drogues. Ses parents, établis pelletiers à Libourne, l'envoyèrent étudier à Paris. il logea d'abord dans une pension catholique de la rue des Petits-Carreaux d'où il passa dans un hôtel, partageant la chambre d'une prostituée dont il vivait. Ce sont ensuite des allées et venues entre Paris, Libourne, la Tunisie où il fait son service, la Havane, et l'Espagne.» Il est même « engagé pour tenir un rôle de souteneur dans une pièce jouée en mai ou juin 1934 » avant d'être arrêté pour trafic de stupéfiants par la police, qui « le laisse cependant filer en Espagne au bout de 15 jours. »

A l'automne 1935, s'ouvre le procès Laborie. « Sur quoi repose l'accusation ? D'abord sur le témoignage d'un autre inverti, "Alphonsine". Laborie déclare que ce dernier agit par vengeance, et jalousie. Un barman, Davidovitz, lié avec Dufrenne, déclare reconnaître en Paul Laborie le "marin" qu'il rencontra dans le promenoir du Palace le soir du crime. Mais ne confond-il pas ce "marin" avec un autre ? Le costume est, paraît-il, très demandé de ces messieurs de la haute noce. Laborie a des défenseurs, en particulier un dont il fut beaucoup parlé, "Bobby" qui cite un autre prénom comme étant celui de l'assassin. Paul Laborie est défendu par Maître Jean-Charles Legrand et c'est Maître Lévy Ouimann qui représente la soeur de la victime. » La presse souligne l'ambiance carnavalesque des débats, ponctués d'incidents tragi-comiques, et évoque «une atmosphère de boîte de nuit». Le compte-rendu de la première audience nous montre un « Laborie, immobile, [qui] écoute. Il semble indifférent. Parfois un sourire [lui] creuse les joues ». Car malgré les fortes présomptions qui pèsent sur lui, la fragilité des preuves, le soutien de ses amis, les déclarations théâtrales et souvent contradictoires des témoins conduiront à son acquittement.

Dans Le Populaire, Maurice Germain se demande si le meurtre de Dufrenne n’était pas inévitable, si même il n'était pas mérité : «Quand on reçoit un monde un peu mêlé, un vol de portefeuille ou même quelques horions sont un risque auquel on est souvent exposé, n’est-ce pas? ». C’est de cette logique que l’avocat général s’inspira lorsqu’il demanda pour Paul Laborie les circonstances atténuantes, du fait même des «moeurs de la victime » et de la « tentation qu’il offrait si imprudemment à d’abominables partenaires ». Une position soutenue par la majorité de la presse, quand bien même elle pensait Laborie coupable, car : « Laborie le valait [Dufrenne] et il valait Laborie ». Il y eut donc bien dans l’affaire, deux coupables: Dufrenne, « dont l’indicible perversité appela l’assassin, et Laborie qui a répondu, appâté, fasciné par sa proie elle-même ». Et on peut même lire dans L’Oeuvre que « l’incompétence des tribunaux créés par les hommes pour juger les hommes devrait aller jusqu’à l’ignorance d’un assassinat lorsque l’assassinat a lieu dans ce qu’on est convenu d’appeler "le milieu spécial" ».

Pour lui, le procès Dufrenne a valeur d’enseignement pour tous ceux qui partageraient ces goûts : « ce sport étrange [a] ses risques » et « les gens indécis que pourrait attirer une curiosité perverse vont être retenus par une prudence salutaire. Un coup de queue de billard sur le crâne est si vite donné et reçu, lorsqu’on a le dos tourné ». Qu'advint-il de Paulo les belles dents? Arrêté quelques mois plus tard pour un cambriolage en Gironde, il est condamné en novembre 1936 à dix ans de réclusion et dix ans d'interdiction de séjour.

sources :
http://parisobs.nouvelobs.com/hebdo/parution/p402_2295/articles/a386703-.html
http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=RHMC_534_0128#no2